"Un cheval tartare erre ... Seul, il galope dans le sable et la neige, hennit, se tourne vers l'est, puis vers l'ouest, perdu . Il s'égare, infinies sont les herbes de la frontière et le jour tombe."
L’écran géant séparait la plage de la lande. Plus loin la dune s’étalait et offrait elle aussi sa protection si bien que l’endroit était tout à fait calme dans la lueur du soir lorsque Alfred arriva avec sa troupe. Les garçons avaient installé au-devant une sorte de scène improvisée avec des bâches pour protéger les pieds des danseurs du sable qui s’infiltrait partout. Un projecteur diffuserait les images du mont Yen Chih comme un diaporama au ralenti, en fond. Les claquements de mains, de pieds et l’interaction des corps constituerait la musique à laquelle il faudrait ajouter les bruits de la mer comme un tempo lent et sourd, aléatoire aussi. Un texte serait lu à un moment afin de guider le spectateur dans la compréhension de la danse.
Alfred se posa au bord de la bâche et regarda le fond de scène où la troupe s’échauffait, attendant que le groupe s’organise et s’élance ; elle connaissait chacune de leurs façons de se mouvoir. Chaque individu qui allait ainsi s’exprimer et mettre son corps au service de sa chorégraphie lui était familier. D’imprécises pensées la portaient cependant qu’elle triturait quelque chose au fond de sa poche. Elle sortit l’objet pour le regarder : un petit coquillage qu’elle avait ramassé dans l’après-midi. Il était bleu et coupant. Elle le reposa dans le sable sans quitter sa place.
Entre temps les danseurs se sont élancés, ils occupent l’espace ainsi qu’ils l’ont déjà répété des dizaines de fois et Alfred n’intervient pas. Elle les regarde se figer lorsque l’un des garçons se détache du groupe devenu compact et déclame, d’une voix lente et forte : "Un cheval tartare erre ... Seul, il galope dans le sable et la neige, hennit, se tourne vers l'est, puis vers l'ouest, perdu . Il s'égare, infinies sont les herbes de la frontière et le jour tombe." La nuit arrive en même temps, le solo d’une grande puissance physique et émotionnelle laisse Alfred toute à son admiration, contente, l’art lui souffle à l’oreille que c’est maintenant qu’il faut vivre, et regarder, et laisser les vagues envahir peut-être un espace nouveau, créé à cet instant par et pour la danse, une dimension à explorer. Du travail, encore.
Il était une fois, au pays du désert aride et du Mont Yen Chih , un peuple de petits hommes qui ne s'exprimaient qu'avec de très jolis mots. On les avait surnommés "les-hommes-qui-parlent-comme-des-livres" et jamais ils ne manquèrent d'honorer ce surnom. Ils aimaient leur terre sèche et les chevaux sur lesquels ils traversaient le désert. Et leur vie s'écoulait doucement.
Une nuit, alors que tous étaient endormis, un "homme-qui-parle-comme-un-livre" arriva dans le village hors d'haleine et le regard fou. Il frappa à la porte du chef et lui tint ces propos: "Ô chef, écoute ma plainte car je suis le témoin du déclin du monde. Ferme tes paupières et écoute mon propos... Je suis au cœur du désert... La fin du jour est proche et je sens l'air se refroidir... Je n'entends plus rien qu'un grand silence... Alors, pour la première fois de l'histoire de la terre, il tombe sur le sable des étoiles de glace... J'entends quelque chose à l'horizon... Un cheval tartare erre ... Seul, il galope dans le sable et la neige, hennit, se tourne vers l'est, puis vers l'ouest, perdu . Il s'égare, infinies sont les herbes de la frontière et le jour tombe... Il ne reconnait plus sa terre, il ne sait plus d'où vient le vent... Il ne sait plus qui de la nuit ou de la neige l'envahit."
Ils se rassemblèrent tous au petit matin et parlèrent. Jamais de leur vie les hommes-qui-parlent-comme-des-livres n'avaient vu la neige tomber sur le désert et ce phénomène leur semblait annoncer la fin de quelque chose. Après de longues discussions, ils décidèrent de faire appel au Grand Oracle. Ce jour là, le Grand Oracle s'ennuyait beaucoup; il se hâta donc au secours du peuple du désert. En arrivant, il trouva qu'il faisait très froid et refusa de s'allonger sur le sol pour trouver en son âme une solution au problème. Il exigea qu'on lui apporte un coquillage bleu puis de la fleur de sel qu'il renifla d'un grand coup. Alors, il posa le coquillage bleu sur sa tête et ferma les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il dit d'une voix si faible qu'on l'aurait dit mourant: " Le Grand Oracle ne peut rien pour vous. De la neige dans le désert, ce n'est pas très bon signe. Mais il faut savoir accepter ce que le ciel vous envoie".
L’écran géant séparait la plage de la lande. Plus loin la dune s’étalait et offrait elle aussi sa protection si bien que l’endroit était tout à fait calme dans la lueur du soir lorsque Alfred arriva avec sa troupe. Les garçons avaient installé au-devant une sorte de scène improvisée avec des bâches pour protéger les pieds des danseurs du sable qui s’infiltrait partout.
RépondreSupprimerUn projecteur diffuserait les images du mont Yen Chih comme un diaporama au ralenti, en fond. Les claquements de mains, de pieds et l’interaction des corps constituerait la musique à laquelle il faudrait ajouter les bruits de la mer comme un tempo lent et sourd, aléatoire aussi. Un texte serait lu à un moment afin de guider le spectateur dans la compréhension de la danse.
Alfred se posa au bord de la bâche et regarda le fond de scène où la troupe s’échauffait, attendant que le groupe s’organise et s’élance ; elle connaissait chacune de leurs façons de se mouvoir. Chaque individu qui allait ainsi s’exprimer et mettre son corps au service de sa chorégraphie lui était familier. D’imprécises pensées la portaient cependant qu’elle triturait quelque chose au fond de sa poche. Elle sortit l’objet pour le regarder : un petit coquillage qu’elle avait ramassé dans l’après-midi. Il était bleu et coupant. Elle le reposa dans le sable sans quitter sa place.
Entre temps les danseurs se sont élancés, ils occupent l’espace ainsi qu’ils l’ont déjà répété des dizaines de fois et Alfred n’intervient pas. Elle les regarde se figer lorsque l’un des garçons se détache du groupe devenu compact et déclame, d’une voix lente et forte :
"Un cheval tartare erre ... Seul, il galope dans le sable et la neige, hennit, se tourne vers l'est, puis vers l'ouest, perdu . Il s'égare, infinies sont les herbes de la frontière et le jour tombe."
La nuit arrive en même temps, le solo d’une grande puissance physique et émotionnelle laisse Alfred toute à son admiration, contente, l’art lui souffle à l’oreille que c’est maintenant qu’il faut vivre, et regarder, et laisser les vagues envahir peut-être un espace nouveau, créé à cet instant par et pour la danse, une dimension à explorer. Du travail, encore.
Il était une fois, au pays du désert aride et du Mont Yen Chih , un peuple de petits hommes qui ne s'exprimaient qu'avec de très jolis mots. On les avait surnommés "les-hommes-qui-parlent-comme-des-livres" et jamais ils ne manquèrent d'honorer ce surnom. Ils aimaient leur terre sèche et les chevaux sur lesquels ils traversaient le désert. Et leur vie s'écoulait doucement.
RépondreSupprimerUne nuit, alors que tous étaient endormis, un "homme-qui-parle-comme-un-livre" arriva dans le village hors d'haleine et le regard fou. Il frappa à la porte du chef et lui tint ces propos: "Ô chef, écoute ma plainte car je suis le témoin du déclin du monde. Ferme tes paupières et écoute mon propos... Je suis au cœur du désert... La fin du jour est proche et je sens l'air se refroidir... Je n'entends plus rien qu'un grand silence... Alors, pour la première fois de l'histoire de la terre, il tombe sur le sable des étoiles de glace... J'entends quelque chose à l'horizon... Un cheval tartare erre ... Seul, il galope dans le sable et la neige, hennit, se tourne vers l'est, puis vers l'ouest, perdu . Il s'égare, infinies sont les herbes de la frontière et le jour tombe... Il ne reconnait plus sa terre, il ne sait plus d'où vient le vent... Il ne sait plus qui de la nuit ou de la neige l'envahit."
Ils se rassemblèrent tous au petit matin et parlèrent. Jamais de leur vie les hommes-qui-parlent-comme-des-livres n'avaient vu la neige tomber sur le désert et ce phénomène leur semblait annoncer la fin de quelque chose. Après de longues discussions, ils décidèrent de faire appel au Grand Oracle. Ce jour là, le Grand Oracle s'ennuyait beaucoup; il se hâta donc au secours du peuple du désert. En arrivant, il trouva qu'il faisait très froid et refusa de s'allonger sur le sol pour trouver en son âme une solution au problème. Il exigea qu'on lui apporte un coquillage bleu puis de la fleur de sel qu'il renifla d'un grand coup. Alors, il posa le coquillage bleu sur sa tête et ferma les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il dit d'une voix si faible qu'on l'aurait dit mourant: " Le Grand Oracle ne peut rien pour vous. De la neige dans le désert, ce n'est pas très bon signe. Mais il faut savoir accepter ce que le ciel vous envoie".
C'était dur celui là...
RépondreSupprimermise en image postée -)
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